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La frustration chez le chien : un enjeu à nuancer

Photo du rédacteur: F.Walther F.Walther


Depuis quelque temps, une idée gagne du terrain selon laquelle engendrer une quelconque frustration chez le chien serait assimilable à une forme de maltraitance psychologique. Une telle affirmation mérite cependant d’être nuancée. Avant de se prononcer, il est indispensable de comprendre précisément ce qu’est la frustration et d’en examiner les impacts, à la fois sur le chien en tant qu’individu et sur sa place dans une société humaine.


Qu’est-ce que la frustration ?


La frustration est définie comme l’état d’un individu empêché d’atteindre un but ou de satisfaire un désir. Dans le cas du chien, cette définition nous pousse à une première réflexion : est-ce que la frustration dont on parle concerne un besoin fondamental ou un simple désir ?

Un besoin fondamental inclut des impératifs vitaux tels que boire, manger ou dormir. Mais qu’en est-il, par exemple, de la reproduction ? Est-ce un besoin aussi essentiel que se nourrir ou respirer ? La réponse n’est pas simple et dépend du point de vue adopté.

Dans une société où les chiens sont domestiqués et où leur libre arbitre est limité par définition, ces questions sont encore plus complexes. Prenons l’exemple de la stérilisation. Si un chien avait la possibilité d’exprimer son avis, choisirait-il d’être stérilisé ? Pourtant, cette décision est souvent prise dans l’intérêt du bien-être général et par confort. 


Frustration et consentement : une relation délicate


Est-ce que frustrer un chien revient à aller contre son consentement ? Sans aucun doute, oui. Mais est-il toujours possible – ou souhaitable – de respecter le consentement d’un chien ?

Les avis divergent. Certains affirment qu’il est impératif de chercher systématiquement le consentement du chien. D’autres estiment que cela dépend du contexte et des enjeux. Enfin, une troisième position consiste à considérer que le chien, en tant qu’animal domestique, n’a pas vocation à prendre des décisions.

Une position nuancée semble plus réaliste. Dans de nombreuses situations, il est possible et même bénéfique de prendre en compte l’avis du chien, par exemple en respectant ses signaux de confort ou d’inconfort. Cependant, dans d’autres cas, comme lorsqu’il s’agit de sa sécurité ou de son intégration dans un environnement humain, il peut être nécessaire de prendre des décisions à sa place.


Frustration : un mal nécessaire ?


Dans nos sociétés modernes, la frustration est omniprésente pour les humains. Nous sommes confrontés à des situations où nous ne pouvons pas satisfaire nos désirs immédiatement, voire jamais : prendre un métro bondé, régler des factures, ou accepter des obligations sociales. Cette capacité à gérer la frustration est ce qui permet de vivre dans une relative harmonie collective.

Il en va de même pour le chien. S’il ne rationalise pas ses expériences comme nous, c’est à nous, humains, de poser les cadres nécessaires pour lui. Cela inclut l’apprentissage de la patience et de la gestion de ses désirs. Le chien doit parfois attendre pour obtenir une ressource ou renoncer à une activité qu’il souhaiterait faire sur le moment.

Cependant, le problème survient lorsque la frustration devient constante et omniprésente dans la vie du chien.


Cas n°1 : l’excès de frustration


Prenons l’exemple d’un chien laissé toute la journée seul dans une cour, sans stimulation ni interaction. Sa seule occupation devient de surveiller les passants. Lorsqu’il aboie, ces derniers continuent leur chemin, ce qui renforce son comportement : il croit que ses aboiements « chassent » les intrus.

Dans ce cas, la frustration n’est plus un simple mal passager mais une souffrance chronique. Le chien n’a aucun moyen d’exprimer son énergie, de stimuler son intellect ou de satisfaire ses besoins sociaux. À terme, cette situation peut engendrer des troubles comportementaux comme l’hypervigilance, l’agressivité ou l’anxiété.


Cas n°2 : un chien sans aucune frustration


À l’opposé de la frustration chronique, imaginons un chien qui n’a jamais été confronté à aucune forme de frustration. Ce chien est systématiquement « écouté », tout est fait pour éviter qu’il ressente le moindre inconfort, et aucune limite ne lui est imposée. Ce type de gestion, bien qu’animée par une volonté de bienveillance, peut s’avérer problématique.

Il est important de préciser que ce problème n’est pas lié à l’utilisation des méthodes positives. Ces dernières, qui visent à éduquer le chien dans le respect et la collaboration, sont tout à fait adaptées et bénéfiques lorsqu’elles incluent un cadre structurant. En revanche, le souci survient lorsque l’évitement de la frustration devient systématique, et que l’apprentissage de cette gestion émotionnelle n’est jamais travaillé.


Un chien qui n’a jamais été exposé à une situation où ses désirs ne sont pas immédiatement satisfaits pourrait développer des comportements problématiques à terme.

Prenons un exemple concret avec deux profils différents :


  • Un chien « facile » (car oui cela existe !): Si le chien a un tempérament calme et peu demandeur, il est possible que tout se passe bien. Ce chien s’adapte à son environnement et devient un compagnon agréable. Il est peu probable qu’il cherche à tester les limites ou qu’il développe des comportements dérangeants, c’est dans sa nature c’est une bonne patte !

  • Un chien plus énergique ou affirmé : À l’inverse, un chien avec un caractère plus fort, plus dynamique, ou plus « punchy » pourrait rapidement se heurter à des situations où ses désirs ne sont pas comblés. Ne sachant pas gérer cette frustration – qu’il n’a jamais expérimentée auparavant –, il pourrait réagir de manière disproportionnée ou inappropriée.


Ces réactions peuvent inclure :


  • La protection des ressources, où le chien refuse qu’on approche de ses jouets, sa nourriture ou ses zones de repos.

  • La réactivité canine, notamment envers d’autres chiens ou des humains.

  • L’impossibilité de manipuler le chien (brossage, soins, mise en laisse) lorsqu’il s’y oppose.


Ces comportements ne surgissent pas « par caprice », mais parce qu’aucune limite claire n’a été posée pour aider le chien à comprendre ce qu’il peut faire ou non. Comme tout être vivant, un chien a besoin de limites pour structurer son environnement et développer une stabilité émotionnelle.


Pourquoi un cadre structurant est essentiel ?


Un cadre clair et structurant n’est pas une question de domination ou de hiérarchie, mais une façon d’offrir au chien des repères cohérents qui lui permettent d’évoluer en toute sérénité. Cela prévient les incompréhensions et les débordements, tout en réduisant le stress lié à l’incertitude. À l’inverse, un environnement sans repères peut désorienter l’animal et engendrer un sentiment d’insécurité.


Lorsqu’un chien apprend à gérer des frustrations ponctuelles, il comprend que ce cadre n’est pas une contrainte, mais un soutien pour favoriser une coexistence harmonieuse avec son entourage. Il devient alors mieux préparé à faire face aux imprévus et aux situations contraignantes, renforçant ainsi sa relation de confiance avec son humain.


Cette capacité d’adaptation, qui passe aussi par un certain lâcher prise, permet au chien de se laisser guider et de faire confiance. Dans mon métier, cette confiance est fondamentale. Elle me permet d’aider des chiens, y compris ceux ayant traversé des expériences difficiles, à accepter des manipulations parfois nouvelles ou inconfortables. La majorité des chiens s’adaptent rapidement grâce à cette base solide, montrant ainsi combien un cadre structurant est essentiel pour leur équilibre et leur bien-être.

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